Potosì, la ville de plus de 100 000 habitants la plus haute du monde (4060m) est aussi celle à qui l'Europe doit sa richesse.


Vers 1545, alors qu’un berger indien Huallpa faisait paître ses lamas sur les pentes du Sumaj Orcko (la « plus belle montagne » en quechua), il découvrit l’existence de filons d’argent. Il y aurait fait du feu et aurait découvert à sa place, le lendemain, des filaments d’argent.

Une dizaine d’années plus tard, Charles Quint donne à la ville la devise suivante : « Je suis la riche Potosì, le trésor du monde, la reine des montagnes et la convoitise des rois ». Pendant trois siècles, la ressource d’argent est pillée par les espagnols. Les lingots sont transformés en monnaie par les indiens de l'Altiplano, esclaves des conquistadors européens.


De 1773 à 1825, c’est à la Casa Nacional de Moneda que sera frappée la monnaie espagnole. Les pierres sont d’abord broyées pour séparer les morceaux d’argent qui sont ensuite trempés dans le mercure pour n’extraire que l’argent pur, puis rincés à l'eau salée avant d’être fondus sous les voûtes faites de pierres et briques des fonderies de la Casa de Moneda.

Les vapeurs de mercure, très toxiques, commencent par rendre aveugles les esclaves avant de leur faire tomber les cheveux. A ce poste, ils mouraient en quatre mois. Deux mois plus rapidement que les mules qui faisaient tourner les roues des mécanismes pour affiner les feuilles d’argent, avant qu'elles ne soient coupées en forme de pièces et frappées de la tête du roi espagnol et des lettres PTSI (qui surimposées les unes aux autres donneront le sigle $ avec 2 barres).

Le poste le moins pénible consistait à ramasser les excréments et nourrir les mules !

Casa de Moneda


Huit millions de vies auraient été volées aux esclaves indiens de l'Altiplano et africains. Ces derniers (environ 30 000), ne supportant pas les conditions climatiques liées à l'altitude n’étaient pas suffisamment productifs. Ils étaient donc envoyés aux Yungas, beaucoup plus bas, pour y cultiver la coca et l'acheminer à Potosì pour les indiens de l'Altiplano.

Mâchée toute la journée en grande quantité, elle est énergisante et aide à résister. Sa consommation fût vite rendue obligatoire par les espagnols.


8 millions de vies et l’équivalent de 50 milliards de dollars actuels littéralement pillés. On dit qu’avec la quantité de lingots d’argent importés, les espagnols auraient pu construire un pont reliant Potosì à l'Espagne. Et qu'ils avaient de quoi en construire un second pour le retour avec... les os des vies enlevées aux esclaves !


Tout cet argent, la couronne espagnole l'a dépensé sans compter, favorisant ainsi le développement du commerce mondiale, entraînant à sa suite les économies hollandaise, française, britannique… le capitalisme européen y trouve l’un de ses premiers grands essors, qui favorise à son tour le développement des échanges avec l'Asie. Au milieu du 17e siècle, Potosi est aussi importante que Paris et Londres.


Au 19e siècle, lorsque Simon BOLIVAR et son ami le Général SUCRE prennent la suite de SAN MARTIN pour éliminer les derniers royalistes et mettent fin le 9 décembre 1824 à la domination espagnole en Amérique latine (bataille d'Ayacucho), les républicains de Bolivie décidèrent de désormais frapper la monnaie de la tête de leur héro : BOLIVAR en lieu et place de celle du roi espagnol, toujours à la Casa de Moneda de Potosì.

Mais les filons d'argent commencent sérieusement à s’épuiser. Potosì tombe rapidement en désuétude. La casa de Moneda devient une prison, un quartier général, puis un musée.

Les pièces sont désormais fabriquées au Canada (et au Chili pour celles qui contiennent du cuivre – 10cts et 5blvs, mais il ne faut pas le dire trop fort à cause de l’accès à la mer) et les billets en France. 


Voici une partie de l’histoire que nous ne voulions pas oublier.


Mais aujourd'hui, que reste-t-il à Potosì ? Que reste-t-il à la Bolivie ?

Effectivement, comme le prônent souvent les fervents défenseurs de l’époque coloniale, les édifices coloniaux hérités sont magnifiques. La Plaza 10 Novembre et celle du 6 Agosto attenante sont bordées de chefs d'œuvre baroques comme la Casa de Moneda, l’un des plus grands (7570m2) et plus important bâtiments civils coloniaux des Amériques. Potosì est ainsi inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1987 (classement aujourd'hui sur la sellette à cause de la modernisation des façades et du risque d'effondrement lié à l'usage de la dynamite) .


Les mines sont encore largement exploitées pour l'étain principalement mais également pour le zinc et le fer (il n'y a quasiment plus d'argent). C’est d’ailleurs l'une des rares sources de revenus de la région.

Si les conditions de travail des mineurs n’ont guère évolué (technique de perforation à la dynamite et marteau piqueur dans une poussière infernale et un bruit assourdissant, à plus de 35°C – espérance de vie des mineurs, 40-45 ans), les activités économiques autour du Cerro Rico se sont diversifiées. Le tourisme a fait son entrée !


Les agences se multiplient et les groupes de visiteurs se succèdent dans les conduits pour vivre l’expérience du mineur pendant … que le mineur travaille et y laisse sa santé. Bien que la visite doit être passionnante, nous nous y refusons. Pas question pour nous d’en faite une attraction, même acceptée par les mineurs.


Ils ne sont plus esclaves, évidemment, mais la plupart à leur compte (sauf les centaines d'enfants-aide de 10-12ans qui gagnent 20 à 30 blvs par jour ~4€). Ils paient un pourcentage (2-3%) à une coopérative pour avoir le droit d’exploiter, leur rémunération dépend ensuite de la qualité de leur récolte. Il travaillent parfois 24h d'affilée. Le salaire est 2 à 8 fois supérieur que le salaire minimum bolivien (1800blvs), ce qui rend l’activité attractive.


Nous sommes arrivés à Potosì en fin de journée, à notre grande surprise, nous avons trouvé un centre-ville tout à fait charmant. La lumière du soleil couchant réfléchie sur les bâtiments blancs et illuminant le Cerro Rico nous a beaucoup plu. Le sommet nous fait de l’œil, nous avons tout de suite envie de monter en haut !


Après infos prise à l’office du tourisme, nous prenons le micro n°70, direction PAILAVIRI, le lieux le plus haut accessible en transports en commun. Nous traversons la ville pentue en dégageant une fumée d’un noir profond dans l’atmosphère à chaque redémarrage. Qu’est ce que les micros peuvent polluer !


Plus nous nous approchons du Sumaj Orcko (souvenez vous : la « plus belle montagne » en quechua), plus nous réalisons que cette ascension n’aura cette fois rien de magique et merveilleux. Nous découvrons une montagne déchiquetée. Nous savions que l’intérieur était mille fois plus troué que le gruyère. Nous avions bien lu dans le routard que les centaines de mines atteignaient jusqu'à 500 mètres de profondeur et que le Cerro Rico avait bien failli s'effondrer jusqu’à ce qu’une opération en 2015 permette de le stabiliser en injectant du sable et de la roche (50 000t) dans les cavités les plus fragiles. Mais l’exploitation intensive de la montagne est en fait carrément visible de l’extérieur. Les flancs sont désormais une énorme carrière arpentés par les camions et habitées par des structures métalliques supportant des machines bruyantes.


Le micro nous dépose finalement à PAILAVIRI. Nous ne sommes en fait pas du tout au sommet mais à l’arrêt des mineurs. La ligne 70 est la ligne des mineurs. L’ambiance est très particulière. Je ne suis pas à l’aise du tout. Les mineurs sortent du travail au compte goutte, extenués, sales, les yeux rouges, le regard dur, le visage fermé, ils ne marchent pas droit, comme s'ils boitaient. Je ne me sens pas à ma place.

Nous avançons quelques mètres, rien qu'à l’extérieur la poussière nous pique les yeux et nous assèche la gorge.

Deux mineurs s'arrêtent et nous abordent. Le premier nous tend la main pour nous saluer. Elle est sale, abîmée, ridée, épaisse de muscles, ses ongles entourés de noir ressortent. Nous nous serrons la main, qu'est ce qu'elle est rugueuse ! Il nous demandent notre nationalité. Puis, sa seconde phrase est « Potosì, no es la Bolivia ».

Sa voix et l’intensité de son regard me donnent des frissons. Il nous indique un endroit où l'on peut rentrer visiter une mine. Il nous fait comprendre que nous pouvons entrer et visiter mais qu’il faut payer, rien est gratuit. Il nous demande d’apporter des bouteilles d’eau minérale aux mineurs « les conditions sont difficiles, il fait chaud, nous avons soif ». Il nous serre la main avec insistance au moins quatre fois après nous avoir donné son prénom ; don Oscar. Je n’oublierai pas ses yeux et son sourire sans dent devant.

Ça suffit, nous voulions juste aller en haut, nous retournons prendre le bus.

L'eau qui sort d'un tuyau qui vient de je ne sais où est opaque. Elle se déverse dans un fossé couvert de déchets et ruissèle vers la ville en contrebas.


Nous montons donc dans le bus des mineurs. Ils finissent leur journée. L'ambiance est dure, silencieuse. Leurs mains et leur regard sont tous les mêmes. J’ai les larmes aux yeux.

Je regarde la montagne en nous éloignant et repense à tour ce que l'on a appris aujourd’hui, ce matin au musée de la Casa de Moneda. Je mesure la chance injuste que nous avons d’être nés en France, dans un pays riche, dont la richesse provient en grande partie de cette montagne. Déchirée. Pillée. Et je regarde ces jeunes boliviens à côté de moi, il doivent avoir mon âge mais en paraissent 20 de plus. Ils sortent de l'enfer pendant que je me paie le luxe de voyager. Je ne peux m’empêcher de comparer nos mains. Les miennes sont propres, ce n’est pas juste.


Phi, 28/09/2018